Peter von Ballmoos
CESR 9, avenue du Colonel-Roche 31400 Toulouse |
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Toulouse, mars 1998 |
Cher Evgen,
L’image de la comète Hale-Bopp que tu m’as
envoyée est une allégorie inattendue pour les astronomes
de l’ère spatiale. Les télescopes qu’ils pointent vers
le ciel captent des rayonnements invisibles à leurs yeux. Avec des
antennes et des détecteurs, ils examinent les astres sous une nouvelle
lumière - celle des ondes radio, radar, infrarouge, ultraviolet,
rayons X et rayons gamma. Ces nouveaux instruments traduisent le message
des photons en une série d’impulsions électriques. Une fois
numérisées, les images du ciel existent alors dans les mémoires
de leurs ordinateurs - toujours aussi invisibles. Afin de visualiser ces
représentations abstraites, elles sont transcrites en “fausses couleurs” :
c’est à travers ces images cryptées que les astronomes ont
appris à imaginer le ciel de l’invisible.
Aujourd’hui, nous autres, “otages de la lumière”, sommes habitués
à ces représentations de l’invisible par les “fausses couleurs”
dont nous nous servons comme une sorte de langage de Braille. Mais la facilité
trompeuse des “fausses couleurs” nous donne l’illusion de lumières
dont nous ne disposons pas, et nous fait oublier notre cécité
pour la quasi-totalité du spectre électromagnétique
: nous parlons des rayons gamma comme les aveugles des couleurs ...
Tu m’as demandé de te parler des images de l’Astronomie de l’invisible.
C’est par un léger défi que je vais essayer de trouver un
vocabulaire pour ce qui est au delà du regard, de décrire
par des mots ces images. Car en fait qui mieux que toi pourrait les visualiser,
toi qui imagines tes propres photos à travers la description de
ta nièce ?
Au-delà de la fenêtre des voyants
Les yeux des voyants permettent de voir le monde à des longueurs
d’onde comprises entre 0.37 et 0.73 micromètres. Cette gamme correspond
à un doublement de fréquence ; c’est dans cet intervalle,
large d’une octave, que l’émission du Soleil connaît son maximum.
Ceci n’est surement pas un hasard. Il y a cependant un deuxième
moteur pour l’évolution de nos organes de vision : C’est aussi précisément
dans cette étroite bande spectrale que l’atmosphère et les
océans sont transparents à la lumière. De part et
d’autre du visible, dans l’ultraviolet et dans l’infrarouge, les oscillations
des ondes de lumière mettent en résonance les atomes de l’eau
et de l’air : les ultraviolets sont absorbés car leurs fréquences
s’accordent aux vibrations des électrons dans les atomes, l’extinction
de l’infrarouge est causé par la stimulation d’oscillations d’ions
et molécules.
Jusqu’au milieu de notre siècle l’Astronomie concernait essentiellement
la lumière visible. Pour voir les astres au-delà de cette
fenêtre étroite, il ne suffisait pas de sortir des océans,
il fallait également s’affranchir de l’atmosphère. Ce cap
n’a été franchi que très récemment, nous plongeant
dans l'âge spatial.
Aujourd’hui, “l’inaccessible étoile”, quoique toujours inabordable,
est toutefois de mieux en mieux connue. Plus de quarante cartographies
de la totalité du ciel ont été établies, du
domaine des ondes radio jusqu’aux rayons gamma.
Mais quelle est la promesse de cette aventure polychrome ? Chaque fois
qu’une nouvelle fenêtre spectrale est ouverte, nous trouvons de nouvelles
facettes de notre Univers, des phénomènes surprenants, souvent
complètement inattendus, provoquant parfois une révolution
de la science physique.
Le ciel infrarouge
Le ciel infrarouge n’a pas grand chose à voir avec celui des
“voyants”. Il dévoile tout d’abord deux bandes lumineuses qui, en
se croisant, parcourent chacune la voûte céleste entière.
L’une de ces bandes est une large ceinture homogène, apparemment
diffuse, très brillante à l’intérieur et s’atténuant
vers les bords. L’autre bande est plus étroite, jonchée d’éclats
intenses tantôt ponctuels, tantôt étendus et filandreux;
la traînée lumineuse est particulièrement intense dans
la direction de la constellation du Scorpion. Seulement, vu sous cette
lumière, reconnaître nos constellations familières
se révèle une tentative vaine. La grande constellation d’Orion,
par exemple, est dénuée d’étoiles à part son
épaule gauche, l’étoile Betelgeuse; cependant elle est recouverte
d’un énorme voile de cirrus radieux.
La bande étroite est celle de notre Voie Lactée. Elle
est illuminée par des étoiles dites “froides” (leur température
de surface étant moins élevée que celle du Soleil)
et par l'émission thermique de poussières, minuscules grains
de matière contenus dans des nuages interstellaires. Ce sont précisément
ces poussières-là qui obscurcissent partiellement la lumière
visible des étoiles dans le plan de la Voie Lactée. En absorbant
les longueurs d’onde visibles et ultraviolettes, ces grains sont réchauffés,
l’énergie thermique ainsi acquise devient la source de l’émission
infrarouge. Les parties intérieures - voire centrales - de notre
Voie Lactée émettent le rayonnement infrarouge le plus intense.
La bande large et diffuse correspond à la “lumière zodiacale”;
elle résulte de la chaleur rayonnée par les poussières
dans le système solaire, comètes et astéroïdes
qui sont à leur tour chauffés par notre Soleil.
D’une longueur d’onde d’une dizaine de microns, comparable à
la taille d’un globule sanguin, les oscillations de l’infrarouge se produisent
cinq octaves* plus bas que celles de la lumière visible. Parce qu'il
est impossible d’observer ce rayonnement à travers l’atmosphère
terrestre, les télescopes infrarouges sont embarqués en satellite.
En 1989/90, une cartographie du ciel infrarouge à été
fournie par le télescope DIRBE sur le satellite COBE. Loin du rayonnement
infrarouge de l’atmosphère terrestre, et refroidi à l'hélium
liquide pour échapper aux émissions parasites de ses propres
composants, DIRBE a fourni une vue panoramique d’un nouveau ciel.
La couleur infrarouge est devenue un outil indispensable pour l’étude
de l’Univers froid, des nuages de gaz et de poussières où
naissent les étoiles et les planètes. Par exemple, l’une
des premières indications de l’existence de planètes hors
de notre système solaire nous a été donnée
par l’observation de l’étoile b-pictoris
dans l’infrarouge : un disque de poussières tièdes, vu par
la tranche, un peu comme notre propre système solaire, ceinture
cette étoile.
Le ciel des micro-ondes
A première vue, une lueur parfaitement uniforme remplit totalement
le ciel des micro-ondes, telle une surface homogène couvrant la
sphère céleste entière. Outre l’aspect insolite de
ce ciel, c’est la température de ce rayonnement qui surprend : où
que l’on vise, cette température n’atteind que précisément
2.7 degrés au-dessus du zéro absolu* ...
L’expérience COBE/DMR a scruté le ciel des micro-ondes
à des longueurs d’onde de quelques millimètres, correspondant
à des fréquences de treize à quatorze octaves plus
basses que celles de la lumière visible. L’analyse des données,
de plus en plus fine, indiqua tout d’abord que la température d’un
hémisphère du ciel est à peine un peu plus élevée
que l’autre. Ensuite, l’étude fit apparaître la faible signature
de notre Voie Lactée qui ceinture la voûte céleste
entière. Enfin, une analyse extrêmement pointue révéla
d’infimes grumeaux dans ce fond presque homogène.
L’interprétation du ciel des micro-ondes a profondément
changé notre vision du monde : ce rayonnement est la mémoire
refroidie de la naissance ardente de l’Univers - il est aujourd’hui
considéré comme la principale preuve étayant la théorie
du Big Bang. Depuis les températures extrêmes qui régnaient
alors, l’Univers c’est lentement refroidi pour atteindre cette température
de 2.7 K.
La faible anisotropie du fond cosmique témoigne du voyage de
notre planète à travers l’Univers - au sein d’un bras spiral
dans la banlieue de la Galaxie nous nous dirigeons vers l’amas de galaxies
de Virgo. C’est pour cela qu’un hémisphère paraît plus
chaud que l’autre.
Pour sa part, l’émission dans la bande de notre Voie Lactée
provient principalement de nuages d'électrons libres dans la proximité
d’étoiles jeunes. Finalement, les grumeaux dans le fond cosmique
témoignent de la formation des premières structures dans
l’Univers, peut-être les premières galaxies.
Le ciel radio
A la fréquence de 408 MHz, vingt et une octaves plus bas que
les vibrations de la lumière visible, le ciel est dominé
par un composé d’émissions inextricables - toutes essentiellement
liées au plan de la Voie Lactée. Avant tout une émission
intense du plan galactique, étroite, éclatante, telle une
crête affûtée divisant la sphère céleste
en deux hémisphères. De part et d’autre de cette nervure
centrale, des filaments cotonneux enlacent le ciel vers les pôles
galactiques. Leurs textures filandreuses ressemblent tantôt à
des cirrus, tantôt à des boucles ou anneaux plus ou moins
irréguliers. Sous-jacent à ces structures un halo diffus
retrace encore la Voie Lactée, assez peu intense mais étalé
vers les pôles, de manière à remplir la plus grande
partie du ciel. Le tout est moucheté d’éclats étroits
mais extrêmement lumineux ; certaines de ces sources de lumière
sont composées d’une double-structure de part et d’autre d’un objet
central ponctuel.
Les structures filandreuses témoignent du sillage d’électrons
ultra-rapides dont la trajectoire est déviée par des champs
magnétiques : ce rayonnement est appelé “rayonnement synchrotron”.
Les sites d’émission sont des restes de supernova, résidus
d’étoiles explosées, et des régions ionisées
dans les bras spiraux de notre Galaxie. Parmi les découvertes extragalactiques,
les “jets” des radiogalaxies et quasars sont des plus remarquables. Les
lobes de ces jets de matière s’étendent à des millions
d’années lumière dans l’espace. Dans les noyaux de ces sources
intenses les astronomes soupçonnent l’existence de trous noirs supermassifs.
Etant donné la longueur d’onde importante des ondes radio (de
l’ordre du mètre), l’outil adapté pour étudier cette
lumière doit nécessairement être de grande taille.
Les radiotélescopes, énormes antennes paraboliques, ont des
diamètres de l’ordre de la dizaine de mètres, voire cent
mètres.
C’est grâce à la découverte des pulsars, en 1967
avec le radiotélescope de Cambridge, que nous avons eu connaissance
d’une nouvelle forme de la matière : la matière neutronique.
Une cuillère de cette matière pèserait aussi lourd
que tous les immeubles de la ville de Paris !
Jusqu’ici, notre balade à travers les couleurs invisibles nous
a amené vers les oscillations de plus en plus basses, des longueurs
d’ondes de plus en plus grandes. Dans ces domaines, il est pratique de
parler de la lumière comme d’une onde. A présent, retournons
au domaine visible, et au-delà, vers les oscillations plus hautes,
les longueurs d’ondes plus courtes. Ici, l’image que nous nous faisons
de la lumière est celle d’un photon, d’un corpuscule de lumière.
Le ciel ultraviolet
Une voûte céleste parsemée de myriades d’étoiles
qui se densifient en une traînée lumineuse parcourant le ciel
entier ... cela sonne plutôt familier. Et pourtant, nous nous sentirions
cruellement perdus sous le ciel ultraviolet. En s’obstinant, peut-être
trouverions-nous des fragments d’une constellation, la ceinture d’Orion,
par exemple, et ensuite, éblouissantes, les étoiles Rigel
et Saiph qui symbolisent les jambes, mais pas moyen de retrouver Betelgeuse,
l’épaule gauche d’Orion. Un deuxième regard sur ce ciel nous
montrerait que la bande qui condense les étoiles dans une traînée
lumineuse ne suit point le trajet de la Voie Lactée. En fait, elle
s’en éloigne considérablement, traversant la sphère
céleste sur un grand cercle faiblement incliné par rapport
au plan galactique.
L’image ci-dessus traduit la vision du télescope UVSST qui détecta
les oscillations de la lumière d’une longueur d’onde de 0.15 micromètres,
correspondant à une fréquence deux octaves plus élevée
que celle de la lumière visible. En raison de la forte extinction
de l’ultraviolet par les atomes de l’air, la camera d’UVSST a observé
au-dessus de l’atmosphere, embarquée sur le satellite européen
TD-1.
Réciproquement, les nuages de gaz interstellaire de notre Voie
Lactée absorbent à leur tour les rayons ultraviolets. Il
n’est donc pas possible de voir très loin dans notre Galaxie et
les étoiles qui dominent l’image sont proches ... et chaudes. En
fait, seulement des corps d’une température supérieure à
15000 degrés produisent suffisamment de rayonnement thermique dans
le domaine ultraviolet. Ces étoiles chaudes et massives sont extrêmement
lumineuses, et brûlent ainsi leur réserves d’énergie
par les deux bouts de chandelle. En règle générale,
les étoiles qui émettent en ultraviolet existent donc depuis
peu seulement. Le ciel ultraviolet est dominé par les étoiles
jeunes et proches - les plus brillantes forment une traînée
qui révèle ainsi une région de formation récente
d’étoiles dans le voisinage du soleil : la ceinture de Gould, inclinée
de 20° par rapport au plan Galactique. Les régions qu’elle regroupe
sont à des distances entre 800 et 1500 années lumière.
Le ciel des rayons X
Tandis que la nuit des voyants est obscure, le ciel tout entier est
lumière pour celui qui verrait les rayons X. Des structures éblouissantes
de toutes tailles et formes donneraient certainement une sensation inimaginable
- notre vocabulaire, inventé par des “voyants”, n’a simplement pas
les mots pour décrire cela. Peut-on parler d’un ciel couvert de
nuages ? Si oui, il faut dire aussitôt que ce ne sont pas des
stratus sombres et pesants, car ces nuées-là sont au contraire
pleines de lumière. Telle une couche de cirrus luminescent peut-être,
tantôt filandreux, tantôt cotonneux. Seule une bande irrégulière
qui coïncide approximativement avec celle de la voie lactée
paraît plus sombre. A plusieurs endroits l’émission X est
particulièrement intense, les formations diffuses semblent alors
composer des anneaux et boucles éclatantes. En imaginant une profondeur
au ciel, ces structures se voient transformées en sphères
tridimensionnelles - certaines de la taille de la Lune, d’autres
d’une étendue d’un poing à bras tendu. La plus grande de
ces bulles remplit presque un quart du ciel, son centre se situe légèrement
hors du plan de la voie lactée. Enfin, toutes ces vastes formes
sont piquetées des éclats de plus de cent mille étoiles
!
Quel feu d’artifice, le firmament des X - mais que savons-nous sur
ce rayonnement et ses origines ? D’une longueur d’onde de la taille d’un
atome, d’une fréquence sept à neuf octaves au-dessus des
vibrations de la lumière visible, le ciel des rayons X à
été entièrement cartographié par le satellite
ROSAT, en orbite et parfaitement fonctionnel depuis 1990.
Les émissions diffuses de ce ciel sont dues, d’une part à
un fond cosmique constitué d’innombrables galaxies lointaines d’autre
part, à un voile de gaz extrêmement chaud qui nous enveloppe
entièrement. D’une température de plus d’un million de degrés,
ce gaz qui forme une bulle d’un rayon de 300 années lumière
autour de nous est le reste d’une gigantesque explosion : une supernova,
une étoile massive, qui, à la fin de sa vie, a explosé
en libérant une quantité d’énergie prodigieuse. Aujourd’hui
nous nous trouvons contenus dans une énorme cavité éclairée
de rayons X, nous voyons les phases finales de l’explosion de son intérieur.
A travers l’écran évanescent de cette bulle locale, le
ciel X nous dévoile un nombre de ces boucles lumineuses, chacune
témoignant de la mort d’une étoile. Vues de l’extérieur
elles se comprennent aisément comme des gigantesques bulles de gaz
en expansion - certaines proches, énormes, d’autres plus lointaines
et moins étendues.
La bande de la Voie Lactée apparaît légèrement
plus sombre. Ici, des nuages de gaz et de poussières absorbent le
rayonnement. Telle une ossature, ces nuages sont trahis par leurs ombres
sur la radiographie de notre Galaxie ...
Enfin, les innombrables éclats ponctuels sont dus à divers
types d’astres : des quasars aux confins de l’Univers observable aux comètes
de notre système solaire. Des sources particulièrement interessantes
dans le domaine des rayons X sont les étoiles à neutrons
de notre Galaxie, notamment les “binaires X”. Un système binaire
contient deux étoiles qui gravitent autour d’un centre commun. Une
chute de matière qui s’effectue depuis une étoile normale
sur un compagnon compact, libère de l’énergie sous forme
de rayons X. Les compagnons compacts sont des naines blanches, étoiles
à neutrons, ou trous noirs. La binaire Cygnus X-1 était en
fait une première évidence expérimentale de l’existence
de trous noirs.
Le ciel des rayons gamma
Comment parler du ciel gamma alors qu’il n’y en pas un mais toute une
multitude de cieux gamma ? Depuis 1991, la plateforme orbitale CGRO (Compton
Gamma Ray Observatory) observe le ciel avec ses quatre télescopes
dans une bande spectrale entre 13 et 33 octaves au dessus de la gamme visible.
A lui seul CGRO couvre 20 octaves - autant qu’entre le radio et le visible.
Dans un domaine aussi vaste, il va de soi que l’apparence de la voûte
céleste est extrêmement variée, aussi variée
que les multiples phénomènes extraordinaires, souvent inattendus,
qu’elle nous a dévoilés.
Les différents cieux du domaine gamma ont pourtant quelque chose
en commun : par son énergie élevée, l’émission
de rayons gamma est étroitement liée à des phénomènes
violents.
Pour celui qui aurait des yeux pour voir les rayonnements gamma, le
phénomène le plus impressionnant serait sans doute les “sursauts
gamma”. En moyenne une fois par jour, il verrait dans une direction complètement
imprévisible un éclat extraordinairement intense de rayonnement
gamma. Quelques secondes plus tard, la source s'éteint, à
jamais selon toute apparence.
L’origine des sursauts gamma est aujourd’hui l’une des plus grandes
énigmes auquelles sont confrontés les astrophysiciens. On
pense actuellement que les sursauts gamma sont situés aux confins
de notre Univers. Ils seraient alors parmi les objets les plus lumineux
connus à ce jour, leur énergie, libérée en
quelques secondes, équivaudrait à l’énergie rayonnée
par les cent milliards d’étoiles de notre Galaxie pendant une année
...
Sur Terre, c’est essentiellement au travers du phénomène
de la radioactivité que nous rencontrons la lumière gamma.
Aux fréquences distinctives de divers éléments radioactifs,
les détecteurs satellisés viennent de découvrir des
cieux gamma-nucléaires. Dans la lumière de l’isotope Aluminium
26 par exemple, la bande de la Voie Lactée rayonne vraisemblablement
de manière diffuse, par endroits elle parait légèrement
enflée. Si l’image de ce ciel peut paraître un peu simple,
c’est que les instruments de la génération actuelle ne sont
pas encore très perfectionnés. Avec une définition
plus de cent fois inférieure à celle de nos yeux, les télescopes
à la vision lointaine du gamma sont les malvoyants de l’astronomie
moderne.
Que nous apporte l’observation de la radioactivité galactique
? L’Aluminium 26 se transforme spontanément en magnésium
au bout de quelques millions d'années, un temps relativement court
en astrophysique. Le rayon gamma spécifique qui s'échappe
au cours de cette transmutation nous informe donc de la présence
de matière fraîchement synthétisée. Il se trouve
que l’émission gamma coïncide avec les restes de supernova,
les cendres d’étoiles explosées contiennent des éléments
produits récemment. Les détections par le rayonnement gamma
d’atomes radioactifs mettent ainsi en évidence que les éléments
qui nous constituent et nous entourent sont produits actuellement par les
étoiles de notre Voie Lactée. Le cycle de la matière
des étoiles est la véritable Pierre Philosophale si convoitée
qui a créé l’aluminium, l’or, le fer ...
Mais la radioactivité n’est pas la seule cause de rayonnement
gamma. Aux énergies les plus extrêmes, 23 octaves au-dessus
du domaine visible, CGRO a notamment observé un rayonnement provenant
d’une fine bande marquée de notre Galaxie. On l’explique par les
collisions entre particules ultra rapides et le gaz qui remplit la Voie
Lactée. Les particules, noyaux d’atomes qui sillonnent la Galaxie
à des vitesses relativistes sont connus sous le nom de “rayonnement
cosmique” - lors des collisions avec le gaz galactique (voir section “Le
ciel infrarouge”), tout se passe comme dans les accélérateurs
géants qui existent sur Terre.
Vu dans la lumière du rayonnement gamma, l’Univers manifeste
une nature radicalement différente des couleurs du visible : contrairement
au ciel des “voyants”, où le mouvement harmonieux des astres à
créé l’impression d’un Univers prévisible et placide,
le ciel des rayons gamma a révélé une facette violente
et imprévisible de l’Univers.
L’essentiel est invisible ...
Au cours de l’histoire de l’Astronomie, notre vision de l'Univers n’a
cessé d'évoluer grâce aux découvertes successives
rendues possibles par l'émergence de nouvelles technologies : nous
avons ainsi découvert que la Terre n’était pas au centre
du système solaire, que celui-ci était loin du coeur de la
Voie Lactée, et que notre Galaxie n’avait aucune place particulière
dans l’Univers.
Aujourd’hui, les découvertes de l’ère spatiale nous invitent
à nouveau à dépasser la simple vision anthropocentrique
: nous devons apprendre que nos yeux ne nous font connaître qu’une
infime fraction du spectre électromagnétique. Outre la place
insignifiante que nous occupons dans l’espace, et le temps limité
qui nous est donné pour l’explorer, nous sommes limités à
la “cinquième dimension” : celle des couleurs.
Le domaine des couleurs visibles couvre un intervalle qui correspond
à peine à la largeur d’une octave. Sur un “piano de lumière”
cette octave se décomposerait en tons et demi-tons allant du rouge
au violet. L’échelle de ces couleurs devrait donc tout-à-fait
convenir pour interpréter un motif simple. On imagine cependant
à quel point la nature pourrait s’exprimer sur les sept octaves
d’un piano entier. Couvrant ainsi les domaines de l’infrarouge proche à
l’ultraviolet C, la richesse et la subtilité des coloratures feraient
paraître la gamme visible incolore et monotone. Bien que ce “piano
de lumière” signifie tout un Univers de couleurs, ce n’est toujours
que la pointe de l’iceberg : chacune des six facettes du ciel invisible
esquissées ci-dessus représente un échantillon d’un
tel Univers. L’intégralité des longueurs d’onde observés
aujourd’hui, du domaine des ondes radio aux rayons gamma des hautes énergies,
comprend plus de 50 octaves !
Si nos yeux perçoivent une octave sur plus de cinquante, l’essentiel
est probablement invisible ... Aujourd’hui, l’astronome ne voit bien qu’avec
ses détecteurs - et à travers les ordinateurs - car c’est
la polychromie des couleurs invisibles qui est au coeur de l’astrophysique
moderne.
Cher Evgen, voilà ce que nous avons trouvé au ciel invisible
: de nouvelles lumières sur nos origines - la naissance des étoiles
et planètes - la formation des éléments qui nous constituent
- la genèse de l’Univers - un Univers imprévisible et violent.
Mais parmi tous ces cieux plein de lumière, éclatants
de vraies et fausses couleurs, dis, “Que cherchent-ils
au Ciel, tous ces aveugles ?"